Montréal, ville de mode ?

Montréal est-il une ville de mode ? Les Montréalais ont-ils un intérêt et un engouement pour la mode et les créateurs d’ici ?

Cette question a été posée lors d’une conférence à l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) le mois dernier. Pour Naoufel Remili, chargé de cours à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, Montréal ne sera jamais dans la même ligue que Paris, New York, Londres ou Milan. Selon lui, la métropole doit plutôt se positionner autrement, comme une ville créative. 

« Un peu comme Berlin, Montréal est une ville culturelle dont la mode fait partie, explique le professeur. Il y a beaucoup de designers de grand talent, mais il n’y a pas cette culture de la mode qu’ont les Européens, par exemple. Il n’y a pas d’engouement pour les créateurs d’ici, il n’y a pas cet amour du beau, du vêtement, de l’habillement, de ce qui est différent et travaillé. »

Autre son de cloche

Debbie Zakaib, directrice générale de mmode, la grappe métropolitaine de la mode, ne partage pas cet avis. Pour elle, les Montréalais sont intéressés par la mode. « On a une authenticité, on a ce souci de s’exprimer avec le vêtement et on prend plaisir à renouveler sa garde-robe au gré des saisons », dit-elle. 

La mission de la grappe est de faire rayonner l’industrie de la mode au Québec, le savoir-faire d’ici, l’innovation, la main-d’œuvre, les carrières. « On parle toujours des détaillants qui ferment, mais il y a aussi de bonnes nouvelles. On a des entreprises qui sont des chefs de file au niveau mondial comme Aldo, Peerless, La Vie en Rose, Dynamite, et d’autres qui innovent dans la façon de rejoindre les consommateurs comme Frank+Oak, SSENSE, plateforme de mode mondialement reconnue et basée à Montréal, ou encore Tailor2Go, qui fait des costumes sur mesure avec un scanner 3D. Notre rôle est de parler de tout ce savoir-faire, et pour toutes ces raisons, je vous dirai que Montréal est une ville de mode. »

De son côté, la créatrice Mélissa Nepton, qui a sa marque bien établie, veut y croire. « On mérite d’avoir l’étiquette mode à Montréal, on essaye de l’être en tout cas, et on travaille fort ! Les gens ont du style, les Montréalais ont une intelligence mode et une sensibilité bien particulière à cause de notre emplacement géographique, et cette force n’existe pas ailleurs, explique la designer. Mais on n’est pas reconnu à l’international, car on n’a pas de force financière et de gros empires puissants comme LVMH [Louis Vuitton, Christian Dior, Marc Jacobs, Kenzo, Fendi…]. »

Selon Frédéric Joncas, fraîchement diplômé de l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, Montréal est une ville qui aime la mode, mais qui ne l’encourage pas nécessairement. « L’envie des designers est de vendre directement leurs vêtements à une clientèle, et c’est là que c’est plus difficile. »

« C’est bien d’avoir des articles dans les médias, mais quand la clientèle ne suit pas, quand on ne vend pas, c’est bien là le problème. L’industrie et le public, c’est deux choses bien différentes. »

— Frédéric Joncas, diplômé de l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM

Encourager les designers d'ici

Le maillon faible de Montréal ? En plus du fait qu’il n’y a pas d’événements mode d’envergure, les consommateurs ne sont pas au rendez-vous. « Il y en a qui achètent québécois et qui vont payer plus cher pour des vêtements de créateurs d’ici, mais ça reste une minorité. Et c’est un petit marché », soutient Naoufel Remili.

Pour Debbie Zakaib, il y a une tendance et un intérêt à acheter local, « mais c’est vrai qu’il faut optimiser la façon de se procurer la mode d’ici », pense-t-elle. « On a été envahis par des marques internationales, l’offre est très diversifiée, mais je pense que les gens souhaitent faire un effort pour faire vivre les créateurs québécois, souligne-t-elle. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour mettre davantage en valeur les designers de mode. »

Un constat s’impose chez les personnes interrogées : les Québécois ne connaissent pas les designers d’ici. Un simple test auprès de la population peut le confirmer, ce sont les trois mêmes noms qui reviennent depuis toujours : Marie Saint Pierre, Philippe Dubuc et Denis Gagnon, souligne-t-elle. 

« Quand est-ce qu’on parle des designers ? Seulement quand il y a des tapis rouges à la télévision avant les galas ! », lance Naoufel Remili.

Ce dernier croit qu’il faut miser sur les atouts de Montréal : la créativité, l’exportation et la spécialisation.

« Montréal est une ville qui se spécialise de plus en plus dans les vêtements intelligents, il faut miser aussi sur la nordicité, la fourrure, le plein air et exporter nos créations dans des marchés porteurs en Europe, aux États-Unis, au Japon. »

— Naoufel Remili, chargé de cours à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM

Debbie Zakaib est très optimiste, car selon elle, l’industrie est en train de se redéfinir. « Il faut que les gens des différents secteurs travaillent ensemble et le rôle de la grappe, c’est de créer une plateforme d’échange, d’offrir du mentorat et de la formation. Il faut valoriser les métiers dans l’industrie de la mode et démontrer que l’industrie est attrayante, et qu’on peut y faire carrière de manière intéressante. »

Mélissa Nepton sent qu’il y a désormais une vraie valeur ajoutée aux vêtements faits ici. « Je le vois, il y a un effet, on m’en parle, c’est une question de valeurs, les gens sont contents d’acheter du “made in Canada”. »

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